Autant que je le sache, ces Lettres ne sont parues que dans une
brochure anonyme, imprimée en 1775, mais datée 1774, dont
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As far as I know, these Lettres have only been published in an
anonymous brochure, printed in 1775, but dated 1774, the text
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Dordrecht, 2002-06-03
LETTRES SUR LE COMMERCE DES GRAINS
PAR M.**
A PARIS
Chez COUTURIER père, Imprimeur-Libraire,
aux Galeries du Louvre
M. DCC. LXXIV.
AVEC APPROBATION ET PERMISSION
AVERTISSEMENT
DE L'ÉDITEUR
On a cru devoir faire imprimer ces
Lettres, parce qu'elles ont paru d'un
style simple, clair, le seul qui con-
vienne à des objets qui intéressent
tous les hommes, & que tous les
hommes doivent entendre.
L'Auteur, à qui j'ai demandé la
permission de publier ce qu'il n'avoit
destiné qu'à son ami, m'a répondu:
Si vous trouves mes Lettres utiles,
publiez-les. Il seroit miserable d'écouter
la vanité d'Auteur, lorsque'il est ques-
tion du bien public.
Je consens à garder toute ma vie la
réputation d'un mauvais Écrivain,
pourvu que je puisse arracher un seul
homme à un préjugé funeste pour mon
pays. Si les livres qu'on m'annonce
me fournissent quelques idées, je les
communiquerai à mon ami, & il sera
le maître de faire imprimer mes Lettres.
Mais je lui écrirai toujours comme si
lui seul devoit les voir.
Je ne pourrois écrire une ligne, si je
songeois que c'est pour le Public que
j'écris.
LETTRE PREMIERE
Montargis, 15 Mars.
..... Il seroit aisé de prouver, Monsieur,
que la cherté des grains dont on se plaint en
quelques endroits, n'a pour cause que la
mauvaise récolte, & les entraves qui gênent
encore la liberté. L'ignorance ou l'avidité
peuvent accuser de ces maux cette même
liberté qui, si elle étoit entiere, les auroit
prévenus. Laissons-les dire. Leurs cris ne
séduiront plus long-temps le peuple, &
bientôt les villes aussi bien que les campa-
gnes, regarderont la loi du 14 Septembre,
comme le bienfait le plus paternel d'un Roi
juste & ami du peuple.
Jamais Législateur plus sûr de la pureté
de son coeur, n'a daigné exposer au peuple
avec plus de détail, que le bonheur était
le seul motif de ses loix. Il a voulu qu'en
se soumettant à cette loi, on obéît à la
raison encore plus qu'à l'autorité, parce
qu'il a senti qu'il n'y a de loix bien exécu-
tées, que celles que l'opinion publique
regarde comme utiles & justes.
La liberté du commerce des grains a
bien des avantages.
1o Elle opere une plus grande reproduc-
tion d'une denrée nécessaire à la vie; &
par-là elle assure & la subsistance du peuple;
& l'indépendance de la nation. Les Culti-
vateurs accoutumés à une vie dure &
frugale, ont peu de besoins, & par con-
séquent peu d'activité. La moindre gêne
les dégoûte, la moindre discussion les fa-
tigue. Opprimés toutes les fois qu'ils ont
des intérêts à démêler avec une autre classe
de la société, les mots de réglement & de
vexation sont synonimes pour eux; & tant
que le commerce des grains seroit gêné,
ils demanderoient à la terre de quoi vivre
& non de quoi s'enrichir
2o La liberté préviendra les disettes réel-
les; par elle seule le bled des années abon-
dantes devient une ressource pour les années
de stérilité. L'art de conserver des grains se
perfectionnera lorsque l'on pourra avoir des
magasins sans déshonneur & sans risque, &
la subsistance des hommes assurée par cet
art bienfaiteur, deviendra indépendante des
caprices de la nature.
Jusqu'ici le surplus des années fertiles n'a
presque été d'aucune ressource; les souris,
les insectes, la fermentation en absorboient
la plus grande partie.
3o La liberté est le seul moyen de préven-
ir les disettes d'opinion.
Quand le pain est cher, le peuple ne se
plaint point de la nature, il ne dit pas qu'il
n'y a point de bled, il dit qu'on ne veut
point lui en vendre; il crie au monopole;
il implore le secours du Gouvernement; &
si le Gouvernement semble l'écouter un
instant, les Marchands s'alarment, le
commerce s'interrompt; il faut y suppléer
par des mesures violentes, & elles n'ont
d'autre effet que d'augmenter la disette &
de la prolonger. Otez ces préjugés au peu-
ple des villes, accoutumez-le à croire que
le Gouvernements n'a point le droit d'exer-
cer des violences sur les propriétaires ou
sur les Marchands de bled, que les habi-
tants des campagnes ne sont point les escla-
ves de ceux des villes, qu'il sache que la
liberté lui amenera tout le bled que la na-
ture a destiné à sa subsistance; que le mono-
pole & la fraude sons impossibles avec elle;
dès-lors il n'y aura plus de disettes d'opinion,
& les manoeuvres pour encherir le bled &
pour soulever le peuple, deviendront im-
possibles.
4o Le prix du bled sera bien moins varia-
ble, parce que dans les temps de bas prix,
les achats des Marchands produisent une
concurrence qui le tiendra plus haut, &
que dans les temps de haut prix, la concur-
rence entre les Marchands qui veulent ven-
dre,l'empêchera de s'élever. Dès-lors il
y aura entre le prix de bled & celui des
journées, une proportion plus constante;
c'est de cela seul que dépend le bien être
du peuple, & il ne souffre que quand de
grandes variations dans le prix du pain alte-
rent cette proportion.
5o Si ce commerce étoit affranchi de toute
espece de droit, ce qui entre dans le mot
de liberté entiere, la circulation en deviend-
roit plus prompte, plus rapide, plus
étendue.
6o La destruction du droit de banalité,
introduiroit le commerce de farine, si
avantageux au petit peuple, à qui il épar-
gneroit le profit que font les Boulangers, &
sur-tout le pauvre seroit délivré des vexations
que les Meuniers exercent sur lui, du gas-
pillage que leurs fripponneries occasionnent.
7o En surprimant les communautées de
Boulangers, & par conséquent les taxes
du pain, le prix du pain se trouveroit avoir,
avec celui du bled, le rapport qu'il doit
avoir naturellement, & que, grace à la
crainte que les Boulangers savent inspirer à
la Police, il n'a presque jamais.
Je ne vous a parle jusqu'ici que des avan-
tages évaluables en argent, mais il y en a
d'inestimables; la tranquillité dans les villes,
dont la liberté banniroit & la défiance contre
le Gouvernement, & les terreurs paniques;
la paix dans les campagnes, dont elle éloig-
neraoit les contraintes & les vexations; dans
l'Etat, la circulation, la vie, l'activité,
l'amour de l'agriculture & les vertus qui en
sont la suite.
Mandez moi ce qu'on dit à Paris sur se
sujet. C'est la ville du monde où l'on doit
raisonner le plus mal sur les bleds; les ha-
bitants sont riches, frivoles, & comptent
pour rien tous les hommes, excepté ceux
avec qui ils soupent.
LETTRE II
Paris, 23 Mars.
...... On n'a point ici d'avis sur les
bleds; quoiqu'on en parle sans cesse, per-
sonne n'a examiné la question, & chacun
juge d'après ses préjugés, & sur-tout d'a-
près ses intérêts.
La liberté a contre elle.
1o De bons Bourgeois de Paris qui croient
que le Gouvernement ne sauroit trop s'oc-
uper du soin de les nourir, & à qui on
ne sera jamais comprendre que, pour que
le bled entre dans Paris, il faut lui laisser
la liberté de sortir; que le moyen qu'il
vienne moins de bled dans une Ville, c'est
de se donner des mouvemens pour en faire
venir, & que rien ne fait rencherir le
pain, comme les réglemens, pour qu'il
soit à bon marché. Ils croyent qu'on dérai-
onne, quand on les assure qu'on peut
acheter du bled sans Conseillers du Roi,
Mesureurs de grains, ou Porteurs de sacs,
que sans Communauté de Boulangers, &
sur-tout, sans taxe du prix du pain, on
peut n'en point manquer, & l'avoir à
meilleur marché.
2o Ceux des gens en place qui craignent
pour leurs vitres.
3o Les gens qui ont intérêt de flatter les
préjugés de la populace pour s'en faire
un appui, & qui aimeroient à la soulever
pour se procurer le mérité de l'appaiser.
4o Les gens attachés aux vieux usages,
qui se rappellent ces loix, par lesquelles
Rome opprimoit la Sicile, l'Egypte &
l'Afrique, les defenses de Solon d'expor-
er des fiques, &c.
5o Les remueurs d'argents, qui se croyent
le talent de gouverner des Empires, parce
qu'ils ont eu l'habilité de faire fortune,
& dont le esprit rapetissé par l'habitude
d'un obscur agiotage, ne peut avoir que
des vues étroites & une politique ram-
pante.
6o Tous ceux qu'effrayent les noms
d'Economistes, d'Encyclopédistes, de Phi-
losophes, d'hommes vertueux; tous ceux
dont un Contrôleur-général honnête dé-
concerte l'avidité; tous ceux que doit faire
trembler la vertu près du Thrône.
Quant aux gens de lettre, il n'y en a
qu'un très-petit nombre qui aient étudié
ces objets. Autrefois, ils étoient tous pour
la liberté; il sembloit convenu que le sys-
tème contraire étoit celui des petit esprits;
mais depuis que l'Abbé Galliani a prouvé
qu'on peut être homme d'esprit & soutenir
le régime prohibitif, plusieurs ont changé
d'avis, & il y en a beaucoup qui s'effrayent
aux mots de monopole, de disette, de sé-
ditions, & qui ne savent pas encore que
les monopoles, les disettes & les séditions,
ont toujours été jusqu'ici l'ouvrage des loix
prohibitives.
Mais très-peu écrivent sur le commerce
des grains. L'on ne compte en France que
deux écrivains qui aient attaqué la liberté ,
M. L. & M. N.
On annonce de nouveaux ouvrages sur
cette matiere, j'aurai soin de vous les en-
voyer.
LETTRE III.
Montargis, 5 Avril.
...... Je ne suis point surpris de ce que
vous me mandez; plus une vérité est
utile, plus elle doit trouver de contradic-
teurs. Je ne désapprouve même point que
des gens raisonnables doutent encore.
Il y a été un temps, où à l'exception
de cinq ou six Astronomes, l'univers en-
tier croyoit fermement que la terre étoit
immobile. Les preuves des avantages de
la liberté du commerce des grains, sont
plus simples que celles du système de
Copernic; mais les préjugés dans les
sciences morales sont bien plus tenaces
que dans les sciences physiques, parce
qu'ils sont plus intimement liés avec nos
passions.
Permettez-moi de vous parler encore de
cette liberté, j'aime à m'occuper de cet
objet; le bonheur du peuple innocent &
laborieux qui peuple les campagnes, la vie
champêtre remise en honneur, nos goûts
frivoles & corrompus, remplacés par des
goûts plus naturels & plus purs; une gé-
nération d'hommes dignes de ce nom, suc-
cédant à une génération abbatardie par le
luxe & la misere; la puissance & la richesse
de la France établies sur une base solide;
tels seront les fruits de la liberté , & l'ame
se repose avec délices sur de si douces es-
pérances.
On demande si les avantages de la liberté
sont démontrés? Oui, comme peuvent l'être
les vérités de ce genre.
D'ailleurs, ce n'est pas ici une vérité
spéculative sur laquelle on puisse rester dans
le doute; il faut, ou que le Gouvernement
laisse au commerce des grains toute la li-
berté, ou qu'il l'assujettisse à des réglemens.
Il n'y a point de milieu, il faut choisir sur
le champ. Quel parti prendre alors? Le
plus sûr, & c'est celui de la liberté.
Toute loi qui ôte à un propriétaire la
libre disposition de sa denrée, est une at-
teinte à sa propriété, & cette violation de
la propriété, ne peut être excusable que lors-
que l'intérêt public l'exige. D'un autre côté,
la liberté du commerce des bleds en fa-
vorise la réproduction; voilà ce qui est
hors de doute: donc, pour gêner la liberté,
il faut être certain qu'elle produit de grands
inconvéniens qui n'auroient pas lieu dans
le régime prohibitif; il faut être sûr, du
moins, que la liberté peut entraîner des
maux terribles que des reglemens auroient
prévenus. Ainsi, même, tant que ces opi-
nions resteront douteuses, le parti de la li-
berté doit être suivi comme le plus sûr.
Dans le doute, abstiens-toi, dit Zo-
roastre. D'après cette maxime, que personne
ne conteste, le parti de la liberté seroit
celui qu'on devroit préférer. Pourquoi donc
semble-t-on croire, au contraire, que c'est
la liberté, & non le régime prohibitif, qui est
obligé de prouver ses avantages. Le
voici, c'est que la longue habitude du ré-
gime prohibitif le fait regarder comme l'état
naturel; c'est qu'on est si accoutumé à voir
le Gouvernement se mêler du commerce
des bleds; qu'il semble que de ne rien
faire, ce soit une action extraordinaire
& nouvelle. C'est que, réellement, il y a
beaucoup à faire pour ôter à la liberté les
entraves dont l'ignorance, l'avidité, & des
manoeuvres perfides l'ont embarrassée. Ainsi,
l'on a cru que pour rendre à l'homme ses
droits naturels, il falloit prouver que son
utilité le demandoit, comme s'il avoit été
question de lui imposer le sacrifice de ces
droits.
La liberté peut occasionner des disettes
& des séditions, disent ses adversaires.
Les disettes & les séditions, répondent
ses partisans, sont presque toujours l'effet
des mauvaises loix.
Chacune de ces assertions est appuyée
sur des raisons. Chacune est défendue par
des gens éclairés. Supposons les raisons
& les lumieres égales de part & d'autre;
c'est encore le parti de la liberté que de-
vroit suivre le Gouvernement.
Mais le rétablissement de la liberté pre-
viendra-t-il les disettes & les séditions?
Il y a certainement un cas, mais c'est
le seul où, malgré la liberté absolue, il
peut y avoir une disette réelle. Celui ou
l'Europe n'auroit pas produit assez de bled
pour nourir ces habitans; dans ce cas, il
n'y auroit qu'une ressource, les magasins
de grains conservés des années précéden-
tes, & c'est la liberté seule qui peut les for-
mer. D'ailleurs, la liberté augmentant la
quantité de bled qui naît chaque année,
les disettes réelles doivent devenir plus
rares.
Voilà pour le cas d'une liberté absolue;
mais j'avouerai en même-temps qu'il n'est
pas impossible que les préjugés du Peuple
& ceux des Magistrats subalternes, leurs
frayeurs, leurs fausses démarches, les ma-
noeuvres des gens mal-intentionnés, ne
puissent dans une mauvaise année, amener
des disettes locales & d'opinion, sur-tout
si, à force de clameurs & de déclamations,
on parvienne à décourager le Commerce, &
à empêcher les Marchands de se confier sur
la protection des Loix.
Je dirai la même chose des émeutes,
comme elles ont pour cause l'opinion où
est le Peuple des Villes, que le Gouverne-
ment doit le nourir aux dépens des cam-
pagnes, ou le préjugé que les Marchands
de bled, sont la cause des disettes, & que
le Gouvernement a entre les mains des
moyens de les faire cesser: les mouvemens
dans le Peuple, dureront autant que ces
préjugés, la liberté ne peut les dissiper qu'à
la longue; & tant que les Magistrats subal-
ternes ne seront pas convaincus des avan-
tages d'un commerce libre, qu'ils ne main-
tiendront la liberté qu'à regret, qu'ils y lais-
seront donner, qu'eux-mêmes y donneront
des atteintes sourdes, toutes les fois qu'ils
craindront le Peuple; ou qu'ils voudront
le flatter, toutes les fois qu'ils chercheront
à faire retomber sur les Ministres toutes les
plaintes du peuple, ou bien qu'ils les ex-
citeront en secret, il sera impossible que
la liberté prévienne toutes les séditions;
mais c'est qu'alors la liberté n'existera point;
c'est qu'au lieu d'être limitée par la loi,
elle le sera par les fautes de ses exécuteurs,
& par les préjugés du peuple.
Mais le régime prohibitif auroit-il pré-
venu les séditions & les disettes qui peu-
vent arriver dans l'état d'une liberté com-
merçante? non, parce que les précautions
que ce régime emploie, portent l'allarme,
& arrêtent toutes les ressources, parce que
le peuple s'irrite de l'inutilité des me-
sures de ses Magistrats, comme il s'irrite de
leur inaction. Les émeutes y seront même
plus fréquentes, parce que les Réglemens
en fourniront plus de prétextes, & plus lon-
gues, parce qu'il y aura plus de succès à
espérer.
Enfin, dans le système de la liberté les
peuples n'ont point le droit de se plaindre
du Gouvernement, c'est de la nécessité seule
qu'ils sont victimes; dans celui des prohibi-
tions, ils peuvent s'en prendre au Gouver-
nement, du mauvais succès de ses mesures:
ainsi plus d'émeutes dans le cas même de
cherté, si le peuple comprend une fois
que le Gouvernement ne peut rien pour lui
que faciliter le commerce, & protéger
la propriété; au lieu que dans le cas
de Réglemens, il y aura toujours un prétexte
aux séditions, l'envie de faire changer ces
Réglemens. L'on ne manquera pas de fri-
pons pour profiter de ce prétexte, échauffer
les têtes du peuple, le soulever, & se procu-
rer une occasion de voler avec impunité.
Mais, pourquoi le Peuple est-il partisan
du système réglémentaire? Un malade va
trouver un Médecin célebre, & lui raconte
sa maladie. Prenez patience, lui répond
M. B. vos souffrances cesseront d'elles-mê-
mes; je ne veux point vous tromper en
vous ordonnant des remedes sans effet,
& les remedes actifs vous nuiroient; le
malade sort très-mécontent, et court chez un
Charlatan: celui-ci fait, sur les causes du
mal, une dissertation en style inintelli-
gible & empoulé, lui prodigue recette sur
recette; qu'importe que le malade souffre
des remedes plus que de la maladie: plus
il souffre, plus il croit qu'ils produisent un
effet salutaire, il guérit enfin. Eh bien! dit-
le malade à M. B. j'ai vu un Charlatan; &
ses remedes m'ont guéri au bout de trois
mois; si vous m'aviez cru, vous l'auriez
été en quinze jours, répondit le Médecin.
Mais pourquoi la plupart des hommes
chargés de la Police, flattent-ils ce préjugé
du peuple? parce qu'ils le partagent.
Presque tous les hommes, & sur-tout
ceux qui remplissent des places, croient
que rien ne va de soi-même & que tout est
perdu si le Gouvernement ne se mêle de
tout.
Un Napolitain, sortoit pour aller faire sa
priere, & voir sa maîtresse: il apprend que
le Vice-Roi vient de mourir, l'inquiétude
commence à le saisir; un peu plus loin, on
lui dit que la nouvelle de la mort du Pape
est arrivée, que le Cardinal Archevêque est
parti pour Rome; sa peur redouble; enfin,
on lui raconte que le Président du Conseil
est tombé en apoplexie: alors le Napolitain
ne se contient plus; il court chez lui, se bar-
ricade, croit que la ville va être au pillage,
& qu'on assassinera dans les rues. Il passe la
nuit dans des transes mortelles; le lendemain
matin, il entend son voisin faire du maca-
roni à l'ordinaire; nulle tumulte dans la
ville, il se hasarde à se lever, regarde à la
fenêtre, voit avec surprise que les charet-
tes vont dans les rues comme à l'ordinaire,
e il mundo va de se, dit-il, en se recou-
chant tranquillement.
Il faut espérer que l'histoire de ce Na-
politain sera celle de tous nos Magistrats de
Villes; je crains seulement que leur con-
version ne demande plus de temps.
Ces préjugés ont encore une autre cause.
Chaque Ville en France, a formé long-
tems une république à part qui, sous la pro-
tection du Gouvernement, avoit ses loix,
sa police, ses usages, ses privileges: comme
les Villes appartenoient aux rois ou aux
grans vassaux, & que la Noblesse occu-
poit la campagne, toute la protection étoit
pour les Villes qui, d'ailleurs, étoient plus
riches & pouvoient plus aisément se faire en-
tendre. Elles s'arrogerent donc le droit de
véxer les campagnes, de leur imposer des
loix onéreuses. Telle fut l'origine de ces
contraintes de ne vendre qu'au marché des
villes, de ces loix municipales qui défen-
doient aux habitans des campagnes d'acheter
du pain à ces mêmes marchés, où on les
forçoit d'apporter du bled qu'ils avoient re-
cueilli. Maintenant que les habitans des cam-
pagnes & des villes, ne sont plus que des
freres qui ont un droit égal aux bontés d'un
pere commun; ces loix ne peuvent plus sub-
sister; la justice de notre Monarque ne peut
souffrir des abus que la politique de ses
Prédécesseurs avoit peut-être été forcée de
tolérer dans des siècles d'anarchie; il seroit
aussi absurde de les regretter que de vouloir
rétablir l'arriere-ban, les moralités de
mere sotte, & la fête des fous.
Aussi ces idées n'existent-elles plus que
chez des Echevins & des Bourgeois, parce
qu'elles y sont fortement liées au sentiment
de leur importance; plus la ville est dé-
corée de priviléges, plus la maladie a de
force; & dans la tête des Bourgeois d'une
petite République, qui s'imagineroient avoir
des sujets, le mal seroit absolument incu-
rable.
J'attends les livres que vous m'avez pro-
mis, c'est peut-être la premiere fois qu'un
Gouvernement absolu a souffert qu'on
écrivit contre ses opérations.
Il a mis ses motifs sous les yeux du pe-
uple, il permet qu'on les discute. Cette con-
duite franche & généreuse est encore très-
sage dans cette occasion, elle montre au
Peuple si prompt à se defier, & si souvent
trompé, que l'on ne cherche plus à l'abuser,
& si on juge de l'avenir par le passé, rien
n'est plus propre à convaincre de l'opinion
du Ministre, que la lecture des raisonne-
mens qu'on fait contr'elle.
Lu et approuvé, ce 25 Avril 1775. CADET DE SAINEVILLE.
Vu l'Approbation, permis d'imprimer, ce 26 Avril 1775.
LENOIR.